Nathalie Revol, chargée de recherche de l’équipe AriC, au LIP, s’est prêtée au jeu de l’interview en quatre questions.
V.G. : Quel est ton parcours ?
N.R. : Après les classes préparatoires, j’ai intégré l’ENSIMAG et j’en suis sortie diplômée de mathématiques appliquées. J’ai suivi un DEA en même temps que ma dernière année, ce qui m’a permis de préparer une thèse, à Grenoble toujours, sous la direction de Jean Della Dora et de Jean-Louis Roch. J’ai ensuite été recrutée comme enseignante-chercheuse à l’Université des Sciences et Technologies de Lille. Après 5 ans passés à Lille, Jean-Michel Muller m’a proposée de venir en délégation Inria au LIP (Laboratoire de l’Informatique du Parallélisme) à Lyon. Je suis restée 2 ans en délégation Inria avant de passer le concours CR1 et d’être recrutée chez Inria en 2002.
V.G. : Quelles sont tes missions aujourd’hui ?
N.R. : Je suis chercheuse Inria, mes missions sont donc celles de tout chercheur : la recherche (trouver de nouveaux résultats) mais aussi l’animation, la participation à l’enseignement, la diffusion…
La recherche
Mon sujet de recherche est l’arithmétique par intervalles : il s’agit de compter non pas avec des nombres, comme avec les opérations arithmétiques (addition, multiplication…) apprises à l’école primaire, mais avec des intervalles.
Par exemple le nombre π n’est pas représentable exactement, mais il appartient à l’intervalle [3,14 ; 3,15]. On peut multiplier cet intervalle par 2 et on obtient [6,28 ; 6,30], on peut effectuer toutes sortes de calculs avec des intervalles : opérations arithmétiques, fonctions mathématiques comme la racine carrée ou le sinus…
L’intérêt de cette arithmétique est qu’elle permet de manipuler des quantités qui ne sont pas connues exactement, telles que π ou telles qu’une mesure physique entachée d’une erreur de mesure, et que tout résultat calculé est garanti contenir le résultat exact mais inconnu. La difficulté est de calculer des intervalles qui restent précis : pour cela il faut revisiter les algorithmes numériques usuels qui ne fournissent pas toujours des résultats fins en arithmétique par intervalles.
Les questions qui se posent sont larges, elles vont de questions théoriques comme la calculabilité ou la complexité des problèmes, à des questions algorithmiques pour développer de nouvelles méthodes de résolution, en passant par des questions mathématiques pour établir le domaine de validité de ces méthodes, et enfin à des problèmes d’implantation efficaces sur différentes architectures.
J’y trouve donc abondance de questions à aborder et de points de vue à essayer.
La médiation
J’aime faire partager, expliquer ce que je fais et cela est à l’origine de mon activité de diffusion : je donne quelques conférences pour expliquer en partie mon sujet de recherche et en partie pourquoi il y a de la recherche à mener en informatique. Ces conférences ont généralement lieu lors de la Fête de la Science ou dans le cadre de la Semaine des Mathématiques, créée en 2012 par le Ministère de l’Éducation Nationale et qui aura lieu du 18 au 24 mars cette année.
Je trouve également important de présenter et d’humaniser le métier de chercheur, de montrer le travail en équipe, l’importance de savoir communiquer ses idées à l’oral comme à l’écrit, en français comme en anglais, et la variété des tâches, comme le fait qu’un chercheur soit également en charge d’autres personnes, ainsi que d’un budget par exemple.
Enfin, il s’avère que les métiers dans les sciences dites dures, comme l’informatique, sont connotés comme des métiers masculins. Or le phénomène d’identification, qui est en particulier exploité par les publicitaires, joue aussi pour les choix d’orientation des collégien-ne-s et lycéen-ne-s. Pour élargir la palette de choix des filles, je trouve important de montrer par l’exemple, via un témoignage, qu’une femme peut exercer ces métiers. Les jeunes filles sont effectivement plus réceptives et plus enclines à envisager une future carrière scientifique lorsque c’est une femme qui vient leur présenter un tel métier. Comme je trouve que j’exerce un beau métier, je trouve dommage que les filles s’en privent par méconnaissance et a priori négatifs !
Sortons du cadre de l’exposé sur la recherche en informatique ou sur le métier de chercheur. Il se trouve que, petit à petit, au fil d’exposés et de lectures, et notamment grâce à des manifestations organisées par l’association Femmes et mathématiques dont je fais partie, j’ai appris et rassemblé de plus en plus d’éléments confortant l’explication que ce sont les stéréotypes qui éloignent les filles des métiers scientifiques et j’ai même été sollicitée pour donner une conférence intitulée « Pourquoi si peu de femmes scientifiques ? » dans le cadre de la journée du 8 mars 2012, une fois en collège et ensuite pour le grand public.
- Allez les filles !
V.G. : Quels sont tes projets d’avenir ?
N.R. : Un projet qui occupe beaucoup la communauté autour de l’arithmétique par intervalles, depuis 2008, et moi en particulier puisque je préside cet effort, est la normalisation de l’arithmétique par intervalles : comment définir une opération qui n’est valide que sur une partie de l’intervalle, comme la racine carrée de l’intervalle [-1 ; 2] ? Comment gérer ceci sur ordinateur ? Nous espérons avoir terminé ce travail de normalisation d’ici 2014, qui est l’échéance qui nous a été imposée par l’organisme de normalisation dont nous relevons, IEEE.
À plus long terme, mes projets sont plus flous : j’aimerais construire une bibliothèque complète d’algorithmes numériques basés sur l’arithmétique par intervalles, facile à utiliser, efficace etc.
De façon plus générale, ce sont les questions scientifiques qui continuent à me motiver.
Bien sûr, l’échange avec le grand public ainsi qu’avec les collégien-ne-s et lycéen-ne-s en fait partie.
V.G : Un message à faire passer ?
N.R. : Voici une petite phrase que je répète souvent lors de mes interventions aux collègien-ne-s et aux lycéen-ne-s, parce qu’elle me semble aller à l’encontre de leurs a priori concernant les scientifiques :
- « à mon avis, les deux qualités essentielles pour être chercheur ou chercheuse sont la curiosité et l’imagination. Mes collègues ajoutent souvent la persévérance. »
V.G.
Commentaires récents